De la camionnette à la barre du tribunal, "Mawda, ça veut dire tendresse"
Créé au KVS, le spectacle de Marie-Aurore d’Awans et Pauline Beugnies tournera jusqu’en janvier.
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Publié le 07-10-2021 à 10h08 - Mis à jour le 07-10-2021 à 11h19
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Il aura fallu de la ténacité aux autrices pour obstinément débusquer la tendresse dans un océan de chagrin, d’humiliation, de déshumanisation. Jusqu’à la première, le 30 septembre, jour où s’ouvrait en parallèle, à Mons, le procès en appel du policier condamné pour "homicide involontaire par défaut de prévoyance" à un an de prison avec sursis.
Sur le plateau du KVS Box, une boule à facettes scintille, les notes d'un slow montent. Tandis que paraissent plusieurs silhouettes, la voix de Mélodie Valemberg porte un chant d'amour fou à la conclusion tragique : "Nous n'avons pas notre place sur ces terres."
Car, avant la nuit de mai 2018 fatale à Mawda, deux ans, il y a l’histoire de ses parents, Prhast et Shamdin, dont l’amour interdit les pousse à fuir le Kurdistan irakien. Il y a leur vie cachée, leur mariage secret, la naissance de leur fils Hama. Il y a leur parcours, passant par la Turquie, la Grèce, l’Allemagne – où naît Mawda, le 12 avril 2016 –, la France, l’Angleterre… Et les retours imposés, la seconde chance tentée. La Belgique où transite la famille parmi une vingtaine de personnes à bord d’une camionnette qui file sur l’autoroute.

La camionnette est là, sur le plateau. Véritable, ordinaire, découpée, reconstituée. Elle devient bancs face à face, écran de projection, prétoire. Elle ramène sans cesse l’objet spectacle au réel qui l’a précédé. La réalité de Mawda et des siens. Celle de centaines, de milliers d’autres personnes sur les routes de l’exil, à la merci de l’impensable.
L'actrice et metteuse en scène Marie-Aurore d'Awans et la réalisatrice et journaliste Pauline Beugnies ont enquêté, jusqu'au Kurdistan, suivi le procès, épluché les médias, rencontré longuement et souvent les parents de Mawda. Avec la dramaturge Kristin Rogghe et les coautrices Victoire de Changy et Maud Vanhauwaert, elles ont ciselé un objet scénique qui se révèle à la fois implacable et d'une profonde douceur.
Les faits exposés, la cacophonie des premières déclarations, les interventions des politiques, les propos de la famille, ceux des juges, des accusés, de la défense, le prononcé des peines : toute cette matière est traversée par une théâtralité du fragment et du chœur, de la citation et de l’allégorie. Juste dosage qui n’escamote ni l’information ni l’émotion mais les articule en finesse.
Mawda, ça veut dire tendresse. Le silence suspendu au bord des derniers mots, lui, salue l'éblouissante et humble dignité de cette famille meurtrie et debout.
- Bruxelles, KVS Box, jusqu'au 8 octobre. Spectacle multilingue, surtitré – 02.210.11.12 – www.kvs.be
- Ensuite au Toneelhuis d'Anvers (15/10), au NTGent (23-24/10), à la Maison de la culture de Tournai (14-15/12), à Mars/Mons (18-19/1), au Rideau de Bruxelles (21-29/1)

À ÉCOUTER :
"Le prévenu que personne n'a entendu", un podcast sur le procès de l'affaire Mawda, par Kristin Rogghe et Marie-Aurore d'Awans.