Ivan De Vadder : « Choisir Alexander De Croo comme Premier ministre était une erreur »
Selon le journaliste de la VRT, « vu de la Flandre, le petit jeu de Bouchez et Magnette semble très bizarre ».
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Publié le 25-12-2021 à 11h53 - Mis à jour le 29-12-2021 à 09h55
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« Marchandage politique », « incompréhension totale »... Les mots tenus par les partis de la Vivaldi étaient forts, ce jeudi 23 décembre, en séance plénière à la Chambre à l’égard des dernières décisions du Comité de concertation. Le débat houleux sur les mesures pourtant validées par les vice-Premiers de ces mêmes formations politiques était à l’image de cette année politique mouvementée. En effet, outre la crise sanitaire qui n’a cessé de mettre à l’épreuve nos responsables politiques, d’autres dossiers, comme le nucléaire, sont venus mettre de l’huile sur le feu de la Vivaldi et des différents gouvernements du pays. Au point d’avoir assisté plus d’une fois à de véritables joutes verbales entre partenaires de majorités... Alors que faut-il retenir de ces douze mois agités ? Quelles personnalités politiques ont réussi à tirer leur épingle du jeu ? Le journaliste de la VRT, Ivan De Vadder, l’un des observateurs politiques les plus avisés, se livre à une rétrospective de l’année 2021 dans le cadre de L’Invité du samedi de LaLibre.be. Les derniers Comités de concertation qui se sont enchaînés et qui se sont tenus dans une certaine cacophonie ont-ils entaché l’image des politiques?
Je dirais plutôt qu’ils ont continué à entacher l’image du monde politique. Je crains qu’il s’agisse d’une évolution qui date de la fin du siècle précédent et qui ne cesse de s’accentuer. Si on regarde les chiffres du baromètre de la motivation de l’Université de Gand, on voit qu’un quart des vaccinés adhère encore aux mesures sanitaires. Chez les non vaccinés, ce n’est plus que 4%... On atteint vraiment des taux très bas ! A cela s’ajoute la méfiance grandissante envers les politiques. C’est une évolution assez dangereuse.
Frank Vandenbroucke plaide depuis des semaines pour des mesures très strictes mais n’a pas toujours été suivi en Codeco. Est-il de plus en plus isolé au sein du gouvernement ?
Oui, tout à fait ! Deux éléments expliquent cet isolement de Frank Vandenbroucke au sein du gouvernement. Premièrement, c'est le ministre de la Santé et il vient d'une famille de médecins. Il comprend bien sa matière et le monde scientifique. Il se sent rassuré par les avis des experts et renforcé dans sa position. Deuxièmement, Frank Vandenbroucke est un caractériel. Il défend son point de vue envers et contre tout. Il a eu des hauts et des bas dans sa carrière à cause de sa façon de travailler. Mais il est actuellement populaire dans les sondages. Ce succès s'explique justement par le fait que les gens ont l'impression qu'il fait de la politique autrement, qu'il ne fait pas de la politique politicienne comme les autres qui ont des agendas cachés. Vandenbroucke se met au-dessus de cette mêlée. Mais certains, surtout parmi les politiques, estiment que si tout le monde agissait comme Vandenbroucke, tout serait à l'arrêt dans notre société.

La N-VA a été vivement critiquée à cause des positions changeantes de Jan Jambon qui, un jour, demande des assouplissements et, le lendemain, veut resserrer la vis. La crédibilité du ministre-Président flamand en a-t-elle pris un coup ?
Sa crédibilité en avait déjà pris un coup avant cela… A la N-VA, on l’appelle “Sterke Jan” (le Jan fort, ndlr.). Mais beaucoup d’observateurs ont des doutes par rapport à ce surnom. Il est connu pour ses nombreuses gaffes et il n’est pas le meilleur ministre-Président que l’on ait connu. Tout le monde dit que Jambon est un très bon manager, qu’il tient compte des souhaits de tout le monde dans un gouvernement. Mais, à un moment, il faut prendre une décision. Il se perd dans des détails, dans des discussions. On remarque aussi un trait commun aux nationalistes : au moment où ils deviennent ministres-Présidents flamands, ils se disent qu’ils sont arrivés là où ils voulaient être, qu’ils ont le poste qu’ils convoitaient le plus. Mais tout le monde sait qu’obtenir le poste n’est qu’un début. Il faut pouvoir tenir la barre pendant cinq ans. On ne voit donc pas les nationalistes flamands comme des personnalités fortes à la tête d’un gouvernement.
Peut-on le considérer comme la marionnette de De Wever ou est-il plus fort que ça ?
Je pense que c’est trop réducteur et sévère comme critique. C’est vrai que le président de la N-VA donne le ton, mais cela ne vaut pas que pour Jan Jambon. Cela concerne également le ministre de l’Enseignement flamand, Ben Weyts. Le problème pour Jambon au gouvernement flamand est qu’il se retrouve un peu dans l’ombre de la jeune et ambitieuse ministre de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA). Elle joue un rôle très important au sein de l’exécutif flamand.
La ministre Demir a tout de même été également la cible de critiques lors de la COP26. Certains ont notamment reproché à la N-VA d’être un parti climato-sceptique…
La N-VA se dit éco-réaliste. Les nationalistes misent sur la technologie pour résoudre les problèmes climatiques. Ils vont donc insister sur le fait qu'il ne faut pas d'interdictions, qu'il ne faut pas limiter les gens dans leurs activités. Il faut plutôt faire appel à la science, aux universités et aux technologies. Même si la N-VA n'est plus le plus grand parti de Flandre (il s'agit du Vlaams Belang selon les derniers sondages, ndlr.), son point de vue sur le sujet est toujours bien accueilli. Dans la Flandre entrepreneuriale, c'est bien perçu de se dire que l'on va investir dans des entreprises et universités qui vont nous donner la solution dans le dossier nucléaire par exemple.

La N-VA a voulu montrer que grâce au haut taux de vaccination de la Flandre, on pouvait vivre presque normalement, mais cela s’est soldé par un échec. Les nationalistes flamands ont-ils une part de responsabilité dans cette quatrième vague ?
Oui, mais De Croo a également reconnu cette erreur. Au nord du pays, on y croyait tous. On avait un taux de vaccination très élevé, dont on était très fier. Quand on a su que ce n’était pas suffisant pour contrer les contaminations, la déception a été énorme. Mais on ne peut pas dire que les nationalistes flamands sont les seuls responsables. On peut toutefois leur imputer une erreur: l’abandon du masque.C’était beaucoup trop tôt pour lever les gestes barrières et c’est là que repose la responsabilité du gouvernement flamand dans cette quatrième vague.
L’”instrumentalisation” du Codeco par la N-VA laisse-t-elle penser que De Croo est un Premier ministre qui manque de poigne ?
C’est assez sévère comme jugement. Le Comité de concertation pourrait devenir un outil important dans la gestion du pays. Par contre, si les participants y arrivent avec l’intention de l’instrumentaliser comme cela a été le cas, c’est foutu. Mais ce n’est pas à cause du Premier ministre. Il a finalement une position assez semblable à celle des autres membres du Codeco. Il l’organise et le gère mais tout le monde a un rôle à jouer. Le problème est qu’il n’y a pas de volonté de coopérer. C’est ce qui me gêne énormément dans cette crise. Par contre, au sein du gouvernement fédéral, je pense bel et bien que choisir Alexander De Croo était une erreur de construction. La même que celle commise par le gouvernement Michel. A ce moment-là, c’était Bart De Wever qui était le vrai patron. Jusqu’à la fin, il a agi comme un empereur romain avec son pouce levé ou baissé. C’était ahurissant à voir. Concernant la Vivaldi, c’est Paul Magnette, qui est le président du plus grand parti de la coalition, qui aurait dû être Premier ministre.
Avez-vous été surpris que Paul Magnette critique Alexander De Croo récemment ?
Oui. Pour moi, c'est du jamais-vu. Je me demande ce que Paul Magnette retire comme bénéfice en critiquant la méthode du Premier ministre. Je crains qu'il le fasse surtout pour battre le PTB. On a l'impression qu'il y a une compétition entre Magnette et Bouchez pour être celui qui met le plus de bâtons dans les roues du gouvernement De Croo. Vu de la Flandre, ce petit jeu semble très bizarre. Ils critiquent l'accord de gouvernement. Pourtant ils ont participé à son élaboration, il y a un an et demi ! Georges-Louis Bouchez était présent lors de la négociation sur la sortie du nucléaire, mais il revient sur ce qui a été convenu.

Georges-Louis Bouchez plait-il au nord du pays ?
Oui, mais qu'est-ce que ça lui rapporte électoralement ? Il vient beaucoup dans les médias flamands parler en français pour s'opposer à certains accords fédéraux. Anonymement, un libéral flamand le présentait dans De Tijd comme "le fléau bleu foncé de la Vivaldi".
L’omniprésence des présidents de parti sur les réseaux sociaux et dans les médias met-elle en danger le futur de la Vivaldi ?
Oui, c'est possible. Aux Pays-Bas, il n'y a qu'un Parlement et tous les présidents de parti y siègent. C'est donc là qu'ils débattent. Chez nous, Bouchez est sénateur, Magnette n'est que bourgmestre, certains sont dans un Parlement régional, d'autres au fédéral... Il n'y a donc pas un hémicycle où ils confrontent leurs idées. Ils le font plutôt dans les médias et sur les réseaux sociaux. Je me demande si c'est vraiment la bonne méthode...
Le nucléaire va continuer de secouer la Vivaldi encore quelque temps, mais quels autres dossiers s'annoncent compliqués en 2022 ?
Le survol de Bruxelles et les nuisances sonores, c'est de la dynamite politique. Changer une route de quelques centimètres rend des gens malheureux, entraîne de la contestation... Ce sera un dossier technique à régler en Comité de concertation car ça implique différents niveaux de pouvoir. Notre système est devenu beaucoup trop compliqué. Il n'est plus possible de gérer le pays de façon efficace, surtout en période de crise. Quand ça doit aller vite, que les défis sont énormes, ça ne fonctionne plus. Personne ne peut réussir dans un tel contexte. Il faut une réforme de l'Etat, non pas pour donner plus de compétences aux entités fédérées, mais pour pouvoir simplifier les choses et mieux gérer les prochaines crises.
Voyez-vous la Vivaldi aller jusqu'à la fin de son mandat ?
Oui, ils n'ont pas le choix. Si ce gouvernement tombe, c'est la fin des quatre partis flamands de la Vivaldi : Open VLD, CD&V, Vooruit et Groen. Et même si la Vivaldi va jusqu'au bout, je crains le pire pour eux. Ne sous-estimez pas la pression de l'opposition au nord du pays. D'après le dernier sondage, ces quatre partis ne récoltent ensemble que 42% des voix. Ils devraient donc s'allier à la N-VA pour former une majorité. Il se peut aussi qu'en 2024, la N-VA et le Vlaams Belang aient la majorité à eux deux. Tout le poids de la responsabilité reposera alors sur la N-VA, qui devra choisir avec qui elle gouvernera. A moins qu'on continue à avoir un gouvernement fédéral composé d'une minorité flamande de plus en plus marquée... Mais peut-on se permettre de continuer dans cette voie ? On risque d'arriver à un blocage institutionnel complet.
Quelle a été la personnalité politique qui s’est démarquée en 2021 ?
Parce que c'était inattendu, je dirais Zuhal Demir. Elle a surpris tout le monde en demandant une commission d'enquête parlementaire pour examiner un important dossier de pollution en Flandre. Cela démontre qu'à la N-VA aussi on peut avoir des réflexes en faveur du climat ou de l'environnement. Pour l'instant, un débat très difficile agite le gouvernement flamand : la limitation des émissions d'azote dans les fermes. C'est un problème gigantesque qui touche les fermiers. Or, Zuhal Demir refuse de céder face aux contestations et elle promet un nouveau cadre.
Et qui vous a le plus déçu ?
C'est très difficile de répondre à ça... (Long silence) J'utilise mon joker car je ne veux pas donner l'impression de juger une personne qui donne peut-être le meilleur d'elle-même.
L’année 2021 aura aussi été ponctuée par les déclarations d’experts de la santé, qui vont certainement se poursuivre en 2022. Est-il sain que des personnes non élues aient tant de pouvoir d’influence ?
C'est parce qu'on leur a donné cette influence. On les a présentés comme plus importants encore que Dieu car on avait et on a toujours besoin de réponses que les politiques ne peuvent pas fournir. On les a considérés comme de nouveaux prêtres, on leur a donné trop de pouvoir. Or, ils ont fait tellement d'erreurs. Il s'avère qu'eux aussi improvisent puis revoient leurs thèses sur base de nouvelles études. C'est logique, ils travaillent en tant que scientifiques donc leur vérité ne tient que jusqu'à ce qu'elle soit réfutée par une autre vérité. Dans leur monde, c'est normal. Dans le nôtre, c'est différent, on a besoin de certitudes. Les experts auraient dû l'expliquer. On a tous fait l'erreur de croire que la vaccination allait nous sortir de cette pandémie. C'est une faute collective. Quand Vandenbroucke a dit que les vaccins allaient nous ouvrir le royaume de la liberté, il l'a fait en toute bonne foi, sur base des avis scientifiques reçus. Mais c'était une erreur, une bêtise.
Vous attendez-vous à voir certains se lancer en politique ?
Il se murmurait que les socialistes flamands avaient évoqué le nom de Marc Van Ranst pour le poste de ministre de la Santé. Mais il est plutôt proche des idées du PTB. Je ne sais pas si, avec ses idées assez gauchistes, il y a de la place pour lui dans beaucoup de partis... Et je ne crois pas que les autres professeurs pourraient montrer de l’intérêt. Erika Vlieghe a même un dégoût de la politique. Par contre, certains partis pourraient se montrer intéressés de les recruter. Mais ces experts ne sont pas très bien vus en ce moment. Je ne pense donc pas que ce soit un avantage de les avoir dans son parti.